Bouquets salés
Aujourd’hui, Madame Zaza n’est pas allée travailler, comme depuis plusieurs semaines d’ailleurs. Depuis 6 ans, elle s’occupait de communication dans une ville de 22000 habitants. Contractuelle de la fonction publique, son contrat de trois ans avait été renouvelé il y a un an… Et puis voilà, elle a fini de plaire. « Je n’ai rien à vous reprocher, mais j’ai envie de changement » lui a dit le premier magistrat Alors qu’elle mettait en avant le bilan des actions de communication, puis l’existence d’un contrat (qu’elle avait sottement perçu comme un engagement) et , accessoirement, quelques enfants à nourrir, des crédits à honorer… Des arguments qui ont été balayés rapidement : « Vous serez tellement mieux ailleurs ! »
Ensuite, ont débuté plusieurs mois d’horreur, de l’annonce de recrutement sur son poste puis de la sélection d’une nouvelle candidate à l’annonce de son arrivée prochaine… Difficile dans ces conditions d’avancer sur les projets qu’elle avait en tête, sans savoir si elle aurait le temps de les mener à bien. Difficile aussi pour toute l’équipe de se sentir dévalorisée, puisque l’on dénonçait son travail, pourtant accompli avec beaucoup de passion, sans en comprendre la raison…
Madame Zaza n’a pas été complètement étonnée… Louis XIV sévit encore dans les milieux politiques français : on est bien vu en cour, puis oublié et jeté sans d’autre raison que celle de la lassitude d’un prince. Elle avait tenu 6 ans à ce poste, c’était déjà un beau score…
Il lui a fallu prendre du recul… mais ce travail, qui avait occupé toutes ses journées, des soirées complètes, des week-ends entiers a laissé chez elle un grand vide, et d’un sentiment d’échec douloureux. Et pourtant, depuis 6 ans, elle vivait dans la terreur de cette répudiation.
Madame Zaza a reçu beaucoup de messages de solidarité et d’amitié de la part de ses collègues et des élus de la commune. Des mots de regrets, d’incompréhension, des petits mots qui tiennent chaud au cœur. Aucun d’eux n’y était obligé, prendre son parti risquait seulement de leur nuire, et elle les a aimés pour leur sincérité.
La veille de l’arrivée de sa remplaçante, elle a été convoquée dans le bureau du directeur général, un homme humain, mal à l’aise avec cette situation et ils sont convenus d’un arrangement qui la laisserait à l’abri du besoin pendant quelques mois… Dès le lendemain, elle avait pu déserter la mairie et, épuisée, elle avait dormi durant trois longues journées.
A présent, lorsque le matin se lève, elle ressent souvent un petit pincement au cœur, le sentiment d’être inutile, incapable, comme abandonnée, sans pouvoir ressentir la satisfaction du travail accompli, ni même celui du repos mérité.
Et pourtant… elle se demande parfois si cet homme ne lui a pas rendu le plus grand des services : celui de la rendre libre, de lui permettre de prendre quelques mois pour réfléchir sur le sens de sa vie, sur ses choix de travail alors qu’elle détestait l’effervescence trop souvent absurde dans laquelle elle se noyait et cette angoisse paradoxale qui la taraudait à l’idée de quitter ce qu’elle connaissait.
Aujourd’hui, il lui reste la peur de devenir enfin elle-même…